Antonio DE PEREDA, Le Songe du gentilhomme (El desengaño de la vida), 1655, Madrid, Academia San Fernando.
Extrait :
Un moment après il eut un troisième songe, qui n’eut rien de terrible comme les deux premiers. Dans ce dernier il trouva un livre sur sa table, sans savoir qui l’y avait mis. Il l’ouvrit, et voyant que c’était un Dictionnaire, il en fut ravi dans l’espérance qu’il pourrait lui être fort utile. Dans le même instant, il se rencontra un autre livre sous sa main, qui ne lui était pas moins nouveau, ne sachant d’où il lui était venu. Il trouva que c’était un recueil des poésies de différents auteurs, intitulé Corpus Poetarum, etc. Il eut la curiosité d’y vouloir lire quelque chose : et à l’ouverture du livre il tomba sur le vers "Quod vitae sectabor iter ?" ["Quel chemin suivrai-je dans la vie ?"] Au même moment il aperçut un homme qu’il ne connaissait pas, mais qui lui présenta une pièce de vers, commençant par "Est et Non", et qui la lui vantait comme une pièce excellente. M. Descartes lui dit qu’il savait ce que c’était, et que cette pièce était parmi les Idylles d’Ausone qui se trouvait dans le gros Recueil des Poètes qui était sur sa table. Il voulut la montrer lui-même à cet homme et il se mit à feuilleter le livre dont il se vantait de connaître parfaitement l’ordre et l’économie. Pendant qu’il cherchait l’endroit, l’homme lui demanda où il avait pris ce livre, et M. Descartes lui répondit qu’il ne pouvait lui dire comment il l’avait eu, mais qu’un moment auparavant il en avait manié encore un autre qui venait de disparaître, sans savoir qui le lui avait apporté, ni qui le lui avait repris. Il n’avait pas achevé, qu’il revit paraître le livre à l’autre bout de la table. Mais il trouva que ce Dictionnaire n’était plus entier comme il l’avait vu la première fois. Cependant il en vint aux poésies d’Ausone dans le recueil des poètes qu’il feuilletait et ne pouvant trouver la pièce qui commence par "Est et non", il dit à cet homme qu’il en connaissait une du même poète encore plus belle que celle-là, et qu’elle commençait par "Quod vitae sectabor iter ? " La personne le pria de la lui montrer, et M. Descartes se mettait en devoir de la chercher, lorsqu’il tomba sur divers petits portraits gravés en taille douce : ce qui lui fit dire que ce livre était fort beau, mais qu’il n’était pas de la même impression que celui qu’il connaissait. Il en était là, lorsque les livres et l’homme disparurent, et s’effacèrent de son imagination, sans néanmoins le réveiller.
Adrien BAILLET, La Vie de Monsieur Descartes, Daniel Hortemels, Paris, 1691, p. 81.
Questions : Analyse du troisième songe de Descartes
1. Montrez que le troisième songe de Descartes exprime une inquiétude morale.
2. Discutez le sens de la formule latine : Quod vitae sectabor iter ? [Quel chemin suivrai-je dans la vie ?] Expliquez l'image du chemin.
3. Cette préoccupation est-elle propre à Descartes ?
4. Montrez l'imbrication du biographique et du philosophique, du particulier et de l'universel, dans ce songe.
5. En quoi un tel rêve est-il décisif ? N'est-il pas étonnant que Descartes, penseur de la méthode, accorde tant d'importance, selon son biographe, à un rêve ?
6. Quel rapport entre le conscient et l'inconscient s'esquisse-t-il dans ce récit d'un rêve ?
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